• septembre 4, 2025
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Quelle sera l’agriculture biologique en France d’ici 15 ans ?

Quelle sera l’agriculture biologique en France d’ici 15 ans ?

Le centre d’études et de prospectives du ministère de l’Agriculture a publié mi-août une étude* portant sur l’agriculture biologique française à l’horizon 2040. Plusieurs scénarios sont à l’étude. Certains laissent entrevoir une « possible marginalisation » de ce système de production.

 

Après une forte croissance au cours des deux premières décennies des années 2000, l’agriculture biologique française marque aujourd’hui le pas. Son essor s’est accéléré à partir de 2012, notamment dans des produits comme le lait, les œufs et les fruits et légumes. Mais l’après-Covid et la guerre en Ukraine avec ses effets inflationnistes ont mis un frein à cette expansion. Si bien que les « surfaces en conversion diminuent chaque année depuis 2021 (par exemple -30 % en 2023) », souligne l’étude du ministère, réalisée avec le concours du Ceresco et du Credoc**. En 2023, l’agriculture biologique représentait 14 % des exploitations en France, 19 % des emplois agricoles, 10,4 % de la surface agricole utilisée et 6 % des ventes de produits alimentaires. A travers quatre scénarios, les experts décrivent « des trajectoires d’évolution volontairement contrastées », allant du plus pessimiste au plus optimiste, mais surtout « ne prétendent pas décrire à l’avance la réalité ».

Fin du label bio ? 

Premier de ces scénarios : le bio ne devient plus une priorité. Il est sacrifié sur l’autel de la croissance économique dans un environnement mondialisé où la compétition fait rage. « Dans ce contexte, les produits bio disparaissent des rayons de la grande distribution, et le tissu économique spécialisé se délite ». La possible déstabilisation des marchés qui en découle accroit les tensions sociales, la précarité alimentaire et met à mal une agriculture conventionnelle trop dépendantes des intrants agricoles (engrais, produits phytopharmaceutiques, etc.) à la « disponibilité incertaine ». En contrepoint, si les agriculteurs biologiques deviennent « des référents techniques de premier plan et (…) sont particulièrement influents (…) ils éprouvent toutefois des difficultés à se différencier des autres producteurs ». L’étude pronostique une fin du label bio européen à l’horizon 2040 et l’émergence de  « nouveaux cahiers des charges bio (…) Non harmonisés nationalement, certains sont plus souples que les versions actuelles ».

Dans le scénario n°2, le postulat de base est que « la multiplication des crises liées au changement climatique engendre une prise de conscience des enjeux environnementaux ». L’application des accords internationaux sur la protection de l’environnement et l’appropriation des règles du jeu par les acteurs privés des secteurs agricoles et agroalimentaires pourrait favoriser l’essor de produits de 3e voie*** leur permettant « de revendiquer une plus-value environnementale, tout en limitant les surcoûts de production agricole ».

Parallèlement, l’AB perdrait « petit à petit sa capacité d’influence auprès des consommateurs et des pouvoirs publics ». À l’horizon 2040, les produits bio représentent moins de 3 % des dépenses alimentaires des ménages (contre 5,6 % en 2023) avec pour corollaire une chute du nombre de producteurs, une accélération du nombre de déconversions. « Seule une petite frange d’agriculteurs bio se maintient, portée par un noyau dur de consommateurs », subsisterait, notent les experts.

Un standard

Dans un 3e scénario avec la mise en place d’un « standard bio ‘‘allégé’’ pour un secteur compétitif et généralisé ». L’hypothèse de départ est l’application concrète d’un accord international ambitieux qui serait conclu en 2032 sur la « préservation des ressources, le climat, la biodiversité, la protection des sols, tout en exploitant les opportunités économiques liées à la transition écologique », développe l’étude du ministère. L’agriculture biologique deviendrait une « référence pour la production agricole » en Europe. Il s’inscrirait dans un nouveau Green Deal prévoyant une sortie des produits phytosanitaires à l’horizon 2040… Pour rentabiliser les filières, le gouvernement inciterait notamment à réduire les gammes, augmenter les volumes et à développer les contrats tripartites (producteur, industriel, distributeur). Dans ce contexte, le nombre d’exploitations et d’entreprises engagées dans la bio pourrait repartir rapidement à la hausse et le secteur connaîtrait un nouvel essor. En bout de chaine, les produits bio atteindraient « 30 % de parts de marché en France, dans le secteur alimentaire, essentiellement dans la consommation à domicile et en restauration collective », prévoient les experts. Enfin, le quatrième et dernier scénario est le plus favorable à la bio. Intitulé, « vers une agriculture et une alimentation biologiques prédominantes », il préfigure une Union européenne redirigeant « ses échanges commerciaux uniquement vers les pays partageant les mêmes préoccupations et standards de production. Une Union européenne dans laquelle « une réduction de la ration énergétique et de la consommation de viande est prônée » et qui se fixe la réduction des inégalités sociales comme priorité. L’agriculture biologique devient « progressivement la norme à atteindre en matière de production agricole », autrement dit un standard, même si des « des itinéraires non biologiques sont autorisés », c’est-à-dire tolérés mais financièrement sanctionnés. Ce scénario, s’inspirant du concept One Health (Une seule santé) prévoit une loi Egalim 5 imposant « un taux de présence des produits bio dans les commerces alimentaires (25 % en 2035) » et la création d’un nouveau Nutriscore. « applicable à tous les aliments à l’échelle européenne ». Il en résulterait « une augmentation notable de part de l’alimentation dans le budget ménages qui passerait à 25 % en moyenne en 2040 » contre 13 % actuellement. Cependant, l’agriculture conventionnelle resterait « majoritaire en 2040 » mais « elle serait en forte régression et de moins en moins économiquement attractive », souligne l’étude.

Il est fort probable que l’avenir ne reprenne aucun de ces quatre  scénarios tant les inconnues géopolitiques restent nombreuses. En tout état de cause, les experts souhaitent que les politiques publiques favorisent le maintien de l’agriculture biologique bio. L’offre doit être « suffisante pour l’ensemble des consommateurs » C’est « primordial », insistent-ils ne passant pas sous silence la question du prix qu’ils jugent « centrale ». Il restera aux pouvoirs publics de bien valoriser ce système de production en renforçant « l’éducation environnementale »  et « la parole scientifique ». Les allégations santé du bio pourraient aussi jouer un rôle important dans son développement, estime en substance l’étude du ministère.

 

Christophe Soulard